En janvier 2017, nous avons rencontré Geneviève Soubirou, créatrice lumière, pour une série d’entretiens consacrés à son parcours exceptionnel et à ses avis sur l’évolution de la création lumière du début des années 60 à aujourd’hui : 55 ans de travail avec la lumière ! Pour compléter ces trois entretiens filmés chez elle à Paris, Geneviève nous a proposé trois textes qui développent sa pensée sur la lumière. Vous les trouverez à la suite sur cette même page.
Propos et documents recueillis pour l’UCL par Christophe Forey et Octavie Lafosse.
1 – UN PARCOURS ATYPIQUE
1962 – 1968 : les années de découverte et d’apprentissage
Je savais faire fonctionner un jeu d’orgue : j’avais appris pour m’amuser avec des copains techniciens, sans savoir que cela allait devenir mon métier. Les résistances Fiat Lux au début, puis les jeux Socem. Et bien sûr les jeux à mémoire par la suite.
Un jour où l’électricien du théâtre du Gymnase était absent, je l’ai remplacé en dépannage pour quelques jours sur le jeu Socem. Trois mois plus tard, j’étais encore là. Le vieux chef électricien ne touchait pas au jeu d’orgue, trop moderne pour lui, mais m’apprenait ce qu’il fallait savoir sur un plateau et assumait le petit entretien et ma protection contre tout un personnel masculin qui attendait que je fasse une gaffe. J’en ai fait une d’ailleurs, j’ai aidé à porter un panneau de décor : en tant qu’électricien, je n’avais pas le droit d’y toucher, un machiniste a claqué la porte de colère. Il y avait 8 permanents sur le plateau. Avec moi, 9, et 2 habilleuses. Ce qui semblerait un luxe de nos jours.
Pierre Saveron est venu régler les lumières d’une pièce de Françoise Sagan car le metteur en scène anglais Jerome Kilty, qui avait l’habitude dans son pays d’avoir un éclairagiste, avait cette même exigence en France. J’ai découvert à ce moment-là que c’était un vrai métier qui se pratiquait déjà beaucoup aux États-unis et en Angleterre.
Marie Bell m’a prise en affection. Très vite elle m’a emmenée en tournée dans les pays de l’Est alors que je ne connaissais que peu de choses.
Seulement ce que Raymond Gérôme, merveilleux comédien et metteur en scène, passionné de lumière, était venu m’apprendre en leçons particulières tous les jours pendant un mois pour préparer la tournée. Quelle chance pour moi d’avoir eu un tel professeur !
À Sofia , ma première, premiers réglages seule. J’avais si peur au début du spectacle que je tremblais et je claquais des dents. À Istanbul où le montage avait été particulièrement difficile dans un affreux théâtre sans matériel, une grande amie de Marie Bell est arrivée sur le plateau à la fin du spectacle « Tu as été divine divine…mais quel théâtre épouvantable… heureusement la lumière était très belle ». Ma carrière était lancée et Marie Bell ne voulait plus se séparer de moi.
Toujours au théâtre du Gymnase, j’ai eu la chance de travailler ensuite avec Raymond Rouleau, un grand maniaque de la lumière. Je ne peux pas imaginer de nos jours un metteur en scène qui me fasse de tels croquis détaillés des faisceaux lumineux.
Venaient aussi quelques autres metteurs en scène plus conventionnels avec lesquels cela devenait presque de la routine pour moi. Je commençais à me débrouiller.
Et aussi Luchino Visconti, royal, dont je me souviens peu, sinon qu’il avait trouvé lui-même la solution pour éclairer avec peu de moyens un grand cyclo circulaire.
Tout en assumant le théâtre du Gymnase, j’ai fini par entrer dans l’entreprise d’électricité qui faisait la maintenance du théâtre. J’avais même réussi à me faire un peu remplacer au jeu d’orgue. Je tenais à ménager Marie Bell et mon patron de l’entreprise qui me donnaient à réaliser les montages, dont celui du Festival du Marais, célèbre à l’époque. J’y ai rencontré plusieurs metteurs en scène ainsi que le bras droit de Jean-Louis Barrault, Michel Bertay, qui faisait une mise en scène pour Simone Valère et Jean Desailly.
Pierre Saveron est également venu avec Jean Vilar pour une soirée. Ce fut à nouveau un plaisir pour moi. Dans l’entreprise, j’avais de plus en plus de responsabilités. J’ai éclairé des vitrines, des défilés de mode, du cabaret, des expos et des festivals d’été…
J’ai rencontré Serge Appruzzese, directeur technique de l’Opéra Garnier. Il faisait comme Pierre Saveron, mais dans un tout autre style, des lumières en marge de celles de son théâtre, notamment pour les ballets russes du Bolchoï au Palais des Sports ou les ballets de Maurice Béjart. Au Palais Garnier il avait créé les lumières du célèbre Sacre du printemps de Stravinsky. J’ai été son assistante à plusieurs reprises avant de travailler seule. Pour lui, la première fois, je me suis amusée à dessiner la lumière, d’une manière un peu naïve sans doute…
1968 : la rencontre avec Jean-Louis Barrault et le choix de la création lumière
En 1968, j’ai rencontré Jean Louis Barrault pour Rabelais à l’Élysée Montmartre. Une fois la confiance établie, la collaboration a été très enrichissante et durable.
Après beaucoup d’hésitation (je ne voulais pas aliéner ma liberté, j’avais quitté l’entreprise et m’étais un peu éloignée du théâtre du Gymnase) j’ai fini par entrer dans la Cie de J-L Barrault, car la création du théâtre d’Orsay m’intéressait beaucoup et Jean-Louis Barrault l’a vite compris. Partir de rien, construire, imaginer toute une installation qui soit la plus fonctionnelle possible, la plus mobile possible pour faire du théâtre, choisir du matériel adéquate et tout cela avec des moyens très limités, mais malgré tout avec une grande liberté de choix. J’ai trouvé cela très excitant. J’ai renouvelé l’expérience avec l’installation du théâtre du Rond-Point en 1981.
Dans la compagnie, j’ai appris la vie de troupe tout en gardant mon indépendance. Il avait l’obligation de m’emmener dans ses déplacements, un accord verbal entre nous (j’adore voyager). Je l’ai suivi dans toutes ses grandes tournées : Mexique, USA, Russie, Japon et bien sûr toute l’Europe.Ces grandes tournées internationales ont été un enrichissement considérable pour mon métier.
J’avais également la possibilité de partir faire des lumières à l’extérieur. Je voulais garder une certaine liberté (autre accord préalable avec lui pour entrer dans sa compagnie), ce qui m’a permis de conserver un regard neuf sur le travail dans son théâtre.
C’est à cette période que j’ai commencé à éclairer de grands spectacles en mon nom. Ce fut le début de ma carrière de lumière en solo. Une liberté que j’ai appréciée.
Dans son théâtre, j’ai rencontré beaucoup de metteurs en scène invités dont certains m’ont emmenée dans leur sillage comme Claude Régy, 10 ans de collaboration, ou Pierre Jourdan à l’Opéra de Compiègne, ou Andréas Voutsinas, ou Laurent Terzieff, ou Simone Benmussa, ou Pierre Chabert pour les spectacles de Samuel Beckett pour n’en nommer que quelques-uns.
De nouvelles connaissances en ont amené d’autres et la vie de travail est passée très vite. Je n’ai jamais eu à chercher de travail, il est venu à moi.
Mon école :
Pierre Saveron m’a appris à regarder une répétition. Il m’a appris la direction de la lumière, la simplicité, le point juste et l’existence d’un métier.
Raymond Gérôme m’a appris à réaliser une lumière avec les moyens de l’époque. À éviter les pièges, à éclairer un visage pour en voir toutes les expressions. Sensible aux intensités. Un professeur pour moi toute seule.
Raymond Rouleau m’a appris à concentrer, à sculpter, à soutenir un point au milieu de nulle part pour fixer l’attention du spectateur. Un perfectionnisme dans le détail qui m’a beaucoup suivie. Il dessinait les impacts de la lumière et était toujours en recherche pour améliorer une image.
Serge Appruzzese m’a appris la couleur et le tape à l’oeil.
Jean Louis Barrault m’a appris l’efficacité, l’essentiel, le climat exact pour la situation, et la débrouille.
Dans l’entreprise, je me suis perfectionnée en technique, j’ai acquis l’autorité, j’ai appris à mener efficacement une équipe et à m’en faire respecter. J’ai appris à éclairer par ma seule expérience. Je remercie tous les techniciens de m’avoir acceptée comme apprentie d’abord et comme chef d’équipe ensuite. Ils ne me passaient rien et moi non plus. Je leur dois beaucoup.
2 – Évolution du matériel, des théâtres et de la mise en scène
LE MATÉRIEL
Depuis le début des années soixante, où j’ai pointé mon nez, jusqu’à nos jours, l’évolution de la technique a été considérable. Avant cela, elle semble avoir stagné pendant quelques décennies. En 1960, quelques entreprises se partageaient le marché du matériel des théâtres et proposaient leurs techniciens : Clémançon, Lelièvre, Falconnet… et Socem qui essayait de s’infiltrer.
Les jeux d’orgues
Je découvre les anciens rhéostats à plots dans le fin fond des ateliers. Je ne les ai jamais utilisés.
J’utilise les résistances Fiat Lux à toute épreuve dans les festivals et les installations temporaires. Des jeux de 6 circuits, parfois 9, qui devaient faire presque un mètre de long, il fallait être deux pour les porter.
J’ai même rencontré une régie avec 3 systèmes de jeux différents qui servaient ensemble. Difficile de faire un noir sec ou un plein feu sec.
Je manipule le jeu Socem dans quelques rares théâtres. C’est une révolution pour les anciens électriciens.
Enfin les jeux à mémoires avec tous leurs avantages, mais qui demandent de la prudence et une plus attention dans la manipulation. Chaque jour, de nouvelles trouvailles, pas toujours très intéressantes pour les théâtres classiques, ont parfois fait oublier l’essentiel. Enregistrer rapidement en live sans troubler la répétition par exemple. La manipulation de certains jeux d’orgues est parfois très complexe et très variée, chaque marque faisant du zèle pour inventer de nouvelles possibilités… À cela s’ajoute la manipulation des asservis. Le métier de régisseur s’avère bientôt insuffisant. Et le métier de pupitreur s’annonce comme un métier à part entière pour les grandes structures et les évènementiels.
Position de la cabine, position des gradateurs
Les jeux d’orgues étaient souvent placés sur le côté de la scène en hauteur pour ne pas gêner les changements de décor, une vue très réduite souvent occultée par les draperies. Parfois ils étaient sous la scène, ils travaillaient en aveugle. Pour l’anecdote, je voyais les électriciens en bleu de travail, maintenant ils sont en costume de ville. Ils ont très souvent une place royale, de face centre. Il arrive qu’ils soient en costume habillé suivant le dress code, car ils doivent traverser la salle pour atteindre la régie ou même être dans la salle. Pour le show biz et parfois dans certains théâtres conventionnels, les régies sont dans le public à côté de la console son et ont vraiment la même vue que le public. Chose qui aurait été impensable dans les années 60. Mais personnellement je trouve que la régie en salle enlève pour le spectateur un peu de la magie du spectacle.
Le jeu Socem avait gagné des parts de marché, car il avait un pupitre secondaire que l’on pouvait placer dans la salle pendant les répétitions et à partir duquel on pouvait régler un tableau de lumière. Il fallait, bien sûr, noter avant d’effacer pour pouvoir restituer, il n’y avait pas de mémoire à l’époque. Ce pupitre pouvait servir ensuite en cabine pour faire une préparation intégrale en addition du pupitre principal. C’était une révolution dans le domaine des jeux d’orgues.
Quand j’ai participé à la construction du théâtre d’Orsay dans les années 70, j’ai insisté auprès de l’architecte et scénographe Claude Perset pour que de la cabine régie on voit toute la salle et toute la scène. La raison principale, inconsciente sans doute, était que JLB faisait dans ses mises en scène souvent des interventions en salle. Pour l’anecdote, comme je suis petite, l’architecte qui lui était plutôt un géant s’était amusé à me dessiner à l’échelle sur les plans de coupe pour avoir mon oeil et pour que je lui fiche la paix.
J’avais aussi insisté pour que la cabine des blocs de puissance (il n’y avait pas de digi à ce moment là) soit proche des régies afin d’intervenir le plus vite possible en cas de problème. Ce qui a été fait au théâtre d’Orsay et au théâtre du Rond Point et même au petit Rond Point. Il arrivait également que l’on « dépatche » en cours de spectacle quand on manquait de circuits ou pour l’alternance entre chaque spectacle, trois le plus souvent, et un autre en répétition, d’où un plafond truffé de prises de courant.
Les lampes.
L’évolution et la miniaturisation des lampes ont entrainé de gros changements et joué un rôle capital dans l’évolution de la lumière.
Au début, les merveilleuses lampes épiscopes avec leur miroir intégré et leur lumière chaude occupaient tout le marché. Leur durée de vie était très limitée. Elles noircissaient à l’usure et le miroir se gonflait à l’échauffement et à l’inclinaison du projecteur, ce qui donnait des taches noires. Sont venues ensuite les halogènes plus froides avec une durée de vie plus longue, puis les HMI et toutes les lampes à décharges. Les halogènes dichroïques ont permis la miniaturisation des projecteurs tout en gardant une forte intensité.
Les projecteurs de poursuite dans les grandes structures étaient équipés avec des charbons (arcs). Sur les spectacles il fallait prévoir le temps du charbonnage. Je me souviens qu’au Palais des Sports, par l’intercom, je devais inverser en cours de spectacle l’utilisation d’une poursuite pour donner le temps de changer les charbons. J’ai aussi utilisé ce qui nous appelions des pinces à charbons pour faire des éclairs. Système un peu dangereux pour le manipulateur. Aucun problème de nos jours : les poursuites sont à lampes et suffisamment puissantes, et on peut faire des éclairs d’une tout autre manière.
Maintenant les LEDs ont envahi l’espace. Le changement est énorme tant dans la qualité de la lumière que sa manière de l’utiliser. Les filtres ont dû enrichir leur gamme pour pallier aux carences de ce nouveau matériel qui n’est pas sans défaut.
Les projecteurs :
Les projecteurs à lentille plan-convexe et les projecteurs à lentille Fresnel ont tous les deux des avantages et des inconvénients. Quand je suis arrivée dans le métier, c’était les seules sources avec les rampes à grosses lampes. Il y avait aussi des Basse tension, très efficaces quand on arrivait à maitriser le faisceau.
Les découpes sont arrivées ensuite, d’abord les Leko américains et ensuite la découpe Levron fabriquée par cet artisan de génie qui était Monsieur Levron qui après avoir beaucoup trainé autour de la profession, a été accueilli pour mettre en pratique ses recherches chez Scenilux, entreprise dirigée par un patron dynamique et visionnaire, Jean Lebret . Dans mes souvenirs Monsieur Levron avait été également au départ du jeu Socem, mais …
Quand les HMI sont arrivés dans le circuit de la lumière au théâtre, il n’y avait rien pour maitriser l’ouverture et la fermeture du volet. Je me souviens avoir placé devant la lentille d’un de ces HMI de petits stores persiennes manipulés à distance avec un fil par un technicien.
Pour le gros matériel : pas d’asservi, il fallait multiplier les points (voir plan du théâtre d’Orsay) : PC1000, PC2000 maxi, découpe Levron 1000.
Les asservis ont changé le travail pour les spectacles de lumière, pas tellement pour le théâtre classique. La plupart des théâtres n’en possèdent pas ou peu, ou n’ont pas encore la console pour les commander. Ceux qui ont cette faveur les utilisent surtout pour économiser du temps d’installation et des coups d’échelle parfois dangereux. Mais on les change peu de place, ce qui limite les angles d’éclairages et donc réduit notre liberté de création.
La maison Cremer avait inventé un projecteur pour les studios de télévision, qui montait descendait sur une tige tournait à droite à gauche et qui s’inclinait. Une sorte d’asservi avant l’heure qui n’a fait aucune carrière dans le théâtre.
Les décors :
Les décors étaient souvent très importants, volumineux, avec des manipulations du cintre, des tournettes, des dessous de scène, etc. Un plateau nu pour du théâtre de boulevard était rarissime. Par contre Jean Vilar au TNP se le permettait avec habileté et avec les lumières de Pierre Saveron. Maintenant c’est fréquent (avec parfois des projections)… Problème d’économie sans doute, ou de mode.
Les projections
Les images projetées qui sont utilisées en excès maintenant ne sont pas une découverte récente. Dans les années 60, J-L Barrault faisait projeter un film sur la voile du bateau de « Christophe Colomb », système que nous avons repris au théâtre d’Orsay en 1975. J’ai moi-même souvent utilisé, en complicité avec le décorateur, des projections. C’était souvent par mesure d’économie ou pour éviter un changement de décor. Le système de projection n’était pas sophistiqué : des Carrousels ou des Sfoms. Je me souviens du « Nouveau Monde » en 1977 où je projetais des images de forêts sur des châssis en lamelles élastiques à travers lesquelles les acteurs pouvaient passer. J’ai également projeté des images sur des tulles, ce qui peut être magique si les montants ne sont pas visibles et quand l’on fait disparaitre la présence du tulle avec la lumière. En 1978, sur la façade du Palais des papes à Avignon, j’ai encore en mémoire la projection d’un sphinx avec des projecteurs Pani. Mais j’avoue que maintenant cet abus de projection systématique, quelle que soit sa qualité, ne remplace pas pour moi un vrai décor.
Les directions des théâtres
Dans ma mémoire, beaucoup de théâtres privés importants étaient dirigés par des femmes. Vera Korène, Marguerite Jamois, Madame Roube-Jansky, Madame Harry Baur, Marcelle Tassencourt, Marie Bell…. mais le personnel technique était uniquement masculin. Il n’y avait pas autant de théâtres qu’aujourd’hui et tous étaient connus du grand public et avaient leur public. Quelques très beaux théâtres ont disparu. Beaucoup d’autres sont arrivés dans tous les arrondissements et dans la périphérie de Paris. La décentralisation prenait son envol. Les théâtres ne programmaient pas plusieurs spectacles le même jour, le théâtre d’alternance n’existait pratiquement pas dans le privé. Jean Louis Barrault a été novateur. Il a repris dans le privé au théâtre d’Orsay ce qu’il pratiquait à l’Odéon et au Français, c’est-à-dire l’alternance. Mais il n’y avait qu’un spectacle par jour pour respecter la qualité et le temps de travail.
Le personnel des théâtres.
Il n’y avait pas d’intermittent, que des permanents. Un travail d’équipe sur le plateau, un bon chef électricien, le titre de régisseur lumière est venu plus tard (souvent la même personne dans les petites structures). Il y avait un régisseur qui surveillait tout, un chef machiniste pour le décor, une personne au son souvent le régisseur lui-même, une personne au jeu d’orgues qui ne s’appelait pas encore régisseur, mais simplement électricien. On faisait parfois appel aux prestataires comme Clémançon, Falconnet, Lelièvre pour renouveler le personnel lumière.
Le chef électricien travaillait directement avec le metteur en scène (ou le décorateur, ou enfin celui qui était censé régler la lumière). Il avait surtout une fonction technique et était souvent d’une formation de technicien du bâtiment détaché dans le théâtre. Il n’y avait pas d’école, pas de stage de formation. On pouvait tomber sur des techniciens qui ne s’intéressaient pas du tout au spectacle, ce qui était parfois un peu délicat pour leur expliquer la conduite avec des jeux manuels qui n’avaient évidemment pas de temporisation. Le métier de pupitreur n’existait pas. C’est la complexité des nouvelles consoles qui a engendré ce nouveau métier. On rencontrait parfois des gens passionnés qui connaissaient parfaitement leur théâtre et leur matériel et qui étaient pour nous une aide précieuse avec lesquels on arrivait à créer des moments magiques avec des moyens très restreints.
La mise en scène :
À mes débuts, seuls quelques metteurs en scène s’attardaient sur la lumière. Parmi les passionnés que j’ai côtoyés, il y avait Raymond Gérôme et Raymond Rouleau qui m’ont beaucoup apporté. Mais pour la plupart, la lumière était une contrainte dont certains se débarrassaient avec l’aide de leur assistant ou du décorateur ou de certaines personnes en place dans le lieu de création.
La plupart des metteurs en scène sont maintenant de plus en plus demandeurs d’un travail précis de la lumière, mais ils n’en connaissent que le rendu. Ils ne peuvent plus gérer les nouvelles technologies à la complexité galopante, ils ont besoin d’un intermédiaire entre eux et le chef électricien. Le créateur lumière a pris cette place et peu à peu de l’importance. Son avis est écouté, il propose et même s’impose.
Est-ce le progrès technique qui pousse les metteurs en scène aidés par les créateurs ou bien est-ce que ce sont ces derniers qui font avancer la technique ? Peut-être un peu les deux.
Les fiches techniques :
Elles sont de plus en plus complètes et de plus en plus nécessaires puisqu’on a de moins en moins de temps et qu’il faut beaucoup travailler en amont. Ce travail est facilité avec internet. Une visite du lieu de création est nécessaire, une étude du matériel ainsi que des discussions avec les techniciens afin d’examiner les possibilités et les impossibilités. Ce travail-là n’est pas reconnu, mais il est essentiel dans la conjoncture actuelle. Il peut prendre beaucoup de temps.
Un sujet qui fâche : le spectacle part en tournée,
le créateur lumière doit-il intervenir ? former le régisseur ? ou laisser faire ?
Les producteurs ont tendance maintenant à faire le barrage (questions d’argent le plus souvent). Est-ce notre faute ? On laisse dans le théâtre des plans et des documents spécifiques au lieu de création, mais pas valables pour une tournée. Les tourneurs viennent faire un repérage et partent en tournée avec un régisseur qui ne possède que quelques documents non valables et qui parfois n’a même pas vu le spectacle. Il faudrait peut-être le prévoir dans le contrat initial. Ou bien faut-il abandonner tout simplement ce qu’il reste de notre création. Il m’est arrivé plusieurs fois d’être engagée par des producteurs sérieux pour faire la formation du régisseur de la tournée. Ceci me paraissait sage et très honnête.
Évolution des affiches
Les affiches ont évolué. Elles sont beaucoup plus complètes aujourd’hui. Lorsque j’ai débuté, seuls le metteur en scène et le décorateur, en plus de l’auteur et des comédiens stars, étaient parfois indiqués. Puis sont venus les costumes, le son et la lumière et même les accessoires. On y ajoute aussi les producteurs.
Archives :
On peut conserver une bande-son, un décor, un costume, mais pas la lumière. On peut conserver un plan à plat, un plan en 3 D, mais la lumière n’est pas là. Peut-être qu’un jour on pourra conserver la lumière dans l’espace sans support avec de nouvelles technologies. Un rêve encore.
Une chose n’a pas changé : la lumière passe toujours vers la fin.
3 – Quelques réflexions sur le métier de créateur lumière
À partir de quand devient-on créateur-lumière ?
On peut être simplement régisseur lumière
On peut être simplement créateur lumière
On peut être les deux sur certains plateaux de petites ou moyennes structures du moins au début. Je crois que si on arrive par ce chemin-là, on est obligé d’abandonner la fonction de régisseur pour faire une carrière de création. Quoi qu’il en soit il n’est pas mauvais d’avoir cette expérience. Le régisseur lumière reste un allié important pour le créateur ainsi que le chef électricien. Sur un grand plateau, les métiers sont obligatoirement séparés.
Si on veut bien faire ce métier :
Préliminaires.
Il faut être en harmonie avec la mise en scène pour l’étoffer, l’enrichir. Il faut savoir décrypter ce que va être le spectacle. Le metteur en scène ne sait pas toujours l’expliquer et on pourrait croire parfois qu’il s’y connait en lumière. Ne pas toujours en tenir compte.
La liberté dont dispose le créateur lumière est très variable selon ses rapports avec le metteur en scène : si la confiance est établie entre eux, si leur collaboration est déjà ancienne, le metteur en scène peut accepter de faire confiance dès le premier travail en laissant une grande marge de liberté. C’est de plus en plus souvent le cas, car la présence du créateur lumière est entrée dans les habitudes et le travail du metteur en scène s’en trouve allégé… Quoi qu’il en soit c’est ce dernier qui donne la direction à suivre.
Déroulement normal du travail pour une création lumière :
- Lire la pièce ou la partition ou écouter la musique.
- Voir la maquette du décor et l’espace scénique, parler avec le metteur en scène, avec le chorégraphe, avec le décorateur. Il est indispensable d’être en accord avec eux pour bien servir le spectacle et rester en harmonie avec le climat général.
- S’imprégner un maximum du spectacle en regardant les répétitions.
- Rêver des images et les adapter aux contraintes du lieu : prendre connaissance du matériel, des points d’accroche, du personnel, du planning et du budget. Beaucoup de paramètres à étudier avant de faire le plan d’installation au plus proche de ses rêves. Il est nécessaire de faire une visite technique pour étudier le lieu et pour ne pas oublier le rapport scène-salle indéfinissable sans cela, et indispensable pour toucher le public.
- Ne pas négliger les contacts avec les techniciens : le théâtre est un travail d’équipe, il faut se servir des qualités, des compétences de chacun et parfois aussi de leurs défauts. Les partenaires principaux sont le régisseur lumière et le chef électricien, mais il faut aussi composer avec le chef machiniste, le cintrier et tous les intervenants du spectacle pour se partager les équipements, l’espace et aussi le temps d’occupation du plateau en dehors des répétitions.
- Faire exécuter l’installation au plus proche du plan. Il y a parfois des petites modifications nécessaires.
- Faire diriger les projecteurs et mettre les filtres. Parfois… perdre du temps s’il y a des pannes.
- Enfin enregistrer la conduite, soit pendant les répétitions, soit simplement dans le décor. Les doublures lumière sont un luxe qui n’est pas toujours à notre disposition. On pourra réajuster sur les acteurs, les chanteurs, les danseurs pendant les répétitions, mais il est bien d’avoir la lumière d’ambiance du tableau enregistrée au préalable.
- Ne pas oublier le sens du spectacle, faire la lumière juste, celle qui se fondra dans le travail général comme un maquillage harmonieux qui donne bonne mine sans en avoir l’air, ou bien parfois elle sera amenée à être un peu plus expressive pour attirer l’attention.
- Au théâtre pour ma part, je suis de la vieille école, j’ai tendance à privilégier l’expression d’un visage. Pour un ballet, ce sera plutôt l’expression d’un corps. Mais ce n’est pas une règle absolue.
- Ne pas vouloir faire un spectacle de lumière pour soi, mais pour servir la pièce dans la ligne donnée par le metteur en scène.
- Ne pas vouloir utiliser systématiquement le matériel sous prétexte qu’il est à la mode ou qu’il est à notre disposition
- Si l’on considère que le théâtre doit être un texte dit par un acteur en présence du public et si par exemple, il n’y a pas de texte, c’est à l’acteur de faire passer le message et à la lumière de l’aider. Le but est de toucher le spectateur qui peut être très différent d’un jour à l’autre.
- Changer un tableau si on a fait fausse route n’a rien de honteux, mais éviter d’avoir à refaire une installation importante. Le temps est toujours compté et les techniciens, même s’ils acceptent, risquent de vous en vouloir un peu. Il est préférable d’avoir bien calculé et préparé l’installation. Par contre, refaire un enregistrement sur la console pose rarement de problème, et même retoucher une direction de projecteur.
- Répéter les tableaux avec les acteurs en live et réajuster les niveaux d’intensités.
- Répéter ensuite dans le rythme avec tous les éléments techniques et les acteurs.
- Enfin regarder une ou plusieurs représentations comme un spectateur. Parfois, on ressent les choses différemment et cela conduit à vouloir apporter des corrections. Mais faire trop de changements en voulant toujours améliorer peut démolir ce que l’on avait construit pendant les répétitions. Garder ces réflexions en mémoire comme une leçon pour le futur.
- Se remettre en question à chaque expérience.
Pour bien faire ce métier il faut être passionné. Le travail est très accaparant et le sera toujours. Les heures de travail ne sont pas calculables et encore moins les heures de préparation personnelle qui sont très variables.
Cette petite histoire n’est qu’un résumé de mon expérience personnelle et chacun de nous a la sienne.
Quelques anecdotes à propos de la manière de travailler qui a changé.
Souvenir : on faisait souvent les réglages la nuit, surtout la conduite. Le décor planté, personne pour allumer dans un coin une lumière parasite, les machinistes au repos. Les acteurs aussi. Seuls le metteur en scène et le chef électricien avec une ou deux personnes pour refaire une direction si nécessaire. L’assistant devait rester pour prendre les places, pas de doublure lumière, sauf à l’opéra où l’on peut garder aussi du personnel pour changer le décor.
Il m’est aussi arrivé de rester seule la nuit dans un théâtre pour enregistrer la conduite dans le calme de la nuit, car dans le vacarme diurne sur le plateau et les lumières parasites, je n’arrivais pas à me concentrer. Je n’entends plus parler de nuit d’éclairages dans le théâtre privé ni public. Je me souviens d’avoir réglé des lumières à la Comédie Française entre 1h et 6h du matin. C’était l’usage à l’époque. Cela me permettait de concilier mon travail dans la Cie Jean Louis Barrault et celui de mes extras, mais il fallait avoir une bonne santé. Actuellement pour les manifestations en plein air, il est difficile de faire les lumières autrement que la nuit, mais ce sont rarement des nuits complètes.
Avec l’alternance, chez Jean Louis Barrault, le personnel étant permanent faisait les changements de décor et les lumières dans la journée pour le spectacle du soir. S’il y avait un autre spectacle en préparation, le décor était mis en place le soir même et je faisais la lumière durant la nuit. Il arrivait que Jean Louis Barrault, après avoir ramené Madeleine Renaud chez eux, revienne vers 2h du matin nous apporter une boisson et nous oblige à faire une pause. Ce qui parfois m’énervait, car nous perdions du temps précieux. Je ne lui en ai jamais parlé, bien sûr.
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