Dans quelle mesure les nouveaux outils de la lumière (Led, asservis, vidéo, systèmes de commande) ont-ils modifié notre façon d’aborder la création lumière ?
Comment gérer les nouvelles technologies ? Led/asservis/vidéo
Faut-il adapter sa manière de travailler ?
– Christophe Forey, éclairagiste
– Benjamin Nesme, éclairagiste spécialisé en technologies avancées
– Elsa Revol, ancienne étudiante de l’ENSATT, conceptrice lumière. travaille avec Ariane Mnouchkine, artistes de cirque et de magie nouvelle
– Philippe Roy, éclairagiste, formateur et responsable de projet chez ETC
– Ludwig Lepage, Chef de Produit, chez Robert Juliat
Benjamin Nesme indifférence de la source technologique dans la conception.
Elsa Revol remarque que les lieux poussent à utiliser de la LED car c’est le début des difficultés pour entretenir les projecteurs traditionnels (lampes chères, difficiles à trouver, dichro, 5kW, HMI…). Aujourd’hui le matériel est souvent imposé. Perte de contrôle de la palette des outils de travail de l’éclairagiste. Difficulté de trouver le bon vocabulaire pour communiquer avec le pupitreur / régisseur lumière face à la multiplicité des nouveaux projecteurs, leds, asservis… Les temps de plateau ne permettent pas de développer les outils pour le spectacle, pour le projet.
Ludwig Lepage se demande si la lumière halogène est encore la lumière de référence au regard de la mixité des sources existantes.
Christophe Forey la lumière de référence pour moi est la lumière du jour, la lumière de l’extérieur. Mais le monde change, les villes et les lieux quotidiens sont de plus en plus éclairés, le niveau lumineux augmente donc celui sur les scènes aussi.
E. Revol L’halogène était la lumière domestique. Aujourd’hui, on met des ampoules LED chez soi. L’œil du spectateur s’adapte, les références changent.
C. Forey Les débuts de la LED dans la lumière pour le spectacle a produit un traumatisme (mauvaise gradation, couleurs affreuses). Aujourd’hui beaucoup plus agréable et performant, parfois plus intéressant que l’halogène. Mais ces nouvelles lumières sont très dures (LED, vidéo).
B. Nesme Il existe des nouvelles formes d’outils comme les rubans LED, des sources très petites. C’est une évolution intéressante de la palette de nos outils. Les rubans matriçables permettent de nouvelles dynamiques, nouvelles ombres. Les lumières intégrées au décor présentent une mise en œuvre longue mais sont plus simples en tournée. Une nouvelle ligne budgétaire doit être allouée à la lumière. On adapte de nouveaux produits pour un spectacle mais ils sont souvent abîmés après une tournée et inadaptables à d’autres spectacles.
C. Forey Avec les nouveaux projecteurs, les parcs techniques sont de plus en plus hétérogènes (pas les mêmes modèles / les même marques). Les adaptations sont difficiles ou alors on n’utilise que ce qui est en commun partout ce qui entraîne une perte qualitative.
Quel entretien pour les nouveaux projecteurs ? La LED consomme moins mais est une catastrophe écologique lors de sa fabrication et de son recyclage en fin de vie, qui arrive trop rapidement. Les projecteurs ont aussi une durée de vie limitée (une dizaine d’années au mieux).
L. Lepage La législation européenne en 2022 annonce la disparition des lampes halogènes. Certains projecteurs LED d’aujourd’hui ne seront plus valables non plus. Plusieurs associations de constructeurs européens, et acteurs du spectacle vivant sont montés aux créneaux. On constate que la consommation électrique de la scène est de moins de 10% de la consommation globale d’un théâtre (bureaux, ordinateurs en veille, chauffage, lumières de service…). Consommation forte mais sur un temps très court. Est-il vraiment rentable de passer en tout LED pour le scénique ? Les questions ne sont pas les mêmes sur les plateaux TV qui sont allumés une dizaine d’heure par jour. Lors d’une réunion au parlement européen, nous nous sommes rendus compte que les experts qui préparent le texte pour 2022 n’ont pas considéré le spectacle. L’Europe veut verrouiller l’halogène en lumière service mais il est prévu que l’éclairage de scène soit exempté. Seule la lampe MR16 pose problème car c’est la même en domestique et sur nos projecteurs. L’Europe prévoit de revoir le texte tous les 5 ans. Robert Juliat sera présent aux commissions européennes. Cependant, Osram, GE, … ont déjà revendu leurs lignes de production halogène car le marché est aujourd’hui trop peu intéressant pour eux.
Question du public (un représentant de fabricant de LED) : Quel problème avec la LED pour vous éclairagistes alors qu’on arrive aujourd’hui aux mêmes températures de couleur ?
Différentes réponses : On n’a pas de point chaud par exemple. La perfection de la LED ne remplacera jamais l’irrégularité de lampes de PAR, du scintillement d’une flamme… Il y a des trous dans les spectres lumineux d’un projecteur LED. On ne les voit pas mais on les ressent comme les harmoniques d’une note au piano. Le problème ce n’est pas la LED, c’est que la LED arrive « à la place de ». C’est une erreur de vouloir reproduire les caractéristiques de l’halogène avec la LED car chacun a ses qualités propres, ses avantages et ses inconvénients. Par contre, l’obsolescence des produits LED est une catastrophe pour nous. Cela vient de l’obsolescence de l’électronique de manière générale (dans nos ordinateurs, téléphone, etc…)
C. Forey : Le travail de l’éclairagiste change : moins de temps de plateau, négocier des budgets pour du matériel qu’on ne demandait pas avant, du matériel spécifique à un spectacle et qui risque de ne plus resservir. L’allocation de ce budget dépend souvent du bon vouloir des metteurs en scène. Au vue des difficultés et le l’hétérogénéité du matériel, que devient une création lumière en tournée s’il n’est pas possible de jouer avec le même matériel ?
Philippe Roy : ETC travaille sur la perception de la lumière et la conception d’une nouvelle mesure de rendu des couleurs qui se baserait sur un échantillon de couleur bien supérieur que celui de l’IRC traditionnel.
Véronique Perruchon note que les recherches en lumière qui ont été faites historiquement ne l’ont jamais été spécialement pour l’éclairage de scène. L’éclairage de scène a toujours bénéficié des recherches des investisseurs industriels dans la santé, la biologie, ….
E. Revol : rapporte l’expérience de tournée au théâtre d’O d’un spectacle « Une Chambre en Inde » créé avec Ariane Mnouchkine, salle équipée à 100% de projecteurs LED. Un régisseur sur place se consacre à l’adaptation des plans feu et des demandes de matériel. Le temps d’adaptation a été très long mais le spectacle en est ressorti aussi riche que l’original. Différent mais tout aussi riche. Les costumes et la scénographie (blanche) sont apparus différemment.
Public : Un binôme artistique/technique semble-t-il de plus en plus indispensable ?
B. Nesme : L’instantanéité des nouveaux outils est très intéressante dans l’écriture de plateau (vidéo, asservis, possibilités de faire des propositions rapidement).
C. Forey : Oui, mais nécessité d’avoir du temps de plateau, de création pour penser et expérimenter sa lumière.
L’ergonome du travail : La transformation du métier avec les nouveaux outils numériques peut mettre en péril des professionnels qui n’ont pas le temps et les moyens de se former sur ces nouveaux outils. Suractivité cérébrale ? Que faire en cas de perte de l’usage des outils ?
Public : Le problème c’est l’empilement des différentes technologies (ce n’est pas un remplacement). Par ailleurs, les champs à appréhender dans les formations deviennent de plus en plus en nombreux.
Compte rendu réalisé avec l’aimable concours de Typhaine Steiner (régie TNS groupe 45)