Nous avons rencontré Alain Poisson, éclairagiste, pour une série d’entretiens consacrés à son parcours à travers le théâtre et la lumière depuis près de 50 ans.
Les 5 films qui constituent ces entretiens ont été tournés chez lui en Corse en juin 2017.
Propos et documents recueillis pour l’UCL par Orazio Trotta.
Quelques autres réflexions d’Alain recueillies par Orazio Trotta pendant ces entretiens :
Lumière :
Je ne faisais jamais de plan lumière, sinon un petit dessin au dos d’un carton de bière ! Mon assistant faisait le plan une fois qu’on avait fait la lumière, en réel, sur la scène. Avantage de cette méthode : les plans sont toujours justes alors que ceux faits avant la création sont parfois faux !
En fait, je faisais un plan avec 3 ou 4 grosses sources (HMI , 5KW) et surtout les contre-jour. Une fois que tu as mis la bonne source en contre-jour, faire les faces, les latéraux et tout le reste, c’est de la rigolade.
Je mettais parfois 200 PAR en contre-jour pour annihiler tout, faire blanc. Je mettais plusieurs couleurs. Je ne faisais jamais un blanc avec un blanc, mais un blanc avec des couleurs. J’essayais toujours d’avoir le sol blanc par la trichromie. Les trois couleurs à fond faisaient le blanc, un contre-jour blanc de bonne qualité, de bonne puissance. Le plateau est uni, puis tu choisis plus ou moins bleuté, plus ou moins chaud. Un beau contre-jour plus 1 ou 2 HMI, c’était impeccable !
Maquette :
Avec Jean-Pierre Vincent et Jean-Paul Chambas, on travaillait longtemps en avance autour de la maquette, 1 an, 2 ans, parfois plus, pour éviter les trucs du décor qui font des impossibilités pour éclairer. On regardait, on laissait murir, puis on y revenait. Avantage, à l’arrivée sur le plateau, on savait ce qu’on avait à monter. C’est devenu encore plus important avec l’utilisation des automatiques dont les places devaient être bien choisies. Au début, les bécanes de chez Morvan (les Telescan de Cameleon).
Faire des choses qui n’avaient jamais été faites :
Exemple à la Cour d’Honneur d’Avignon en juillet 1990 sur Les Fourberies de Scapin mis en scène par Jean-Pierre Vincent avec Daniel Auteuil où nous avions inventé un projecteur pour « dessiner des ombres ».
L’appareil prototype a été placé en haut de la Cour d’Honneur avec une grue. Il éclairait le plateau comme en plein jour et on plaçait les ombres où on voulait. Les ombres étaient nettes, très nettes. Ce projecteur avait été développé spécialement pour ce spectacle par l’entreprise Cameleon. Avant de pouvoir dessiner les ombres, on avait fait un relevé de tous les points caractéristiques de la Cour d’Honneur avec un petit pointeau que l’on déplaçait devant l’objectif, cela faisait la base d’un dessin que l’on finissait ensuite comme on voulait. C’était rigolo !
C’était l’ancêtre du mapping en quelque sorte.
Droits :
À chaque fois que c’était possible, je me faisais payer en droits d’auteur, c’était le mieux. J’avais un agent, le même que Diot, Rouveyrollis, Hourbeigt. Il a gagné beaucoup d’argent avec nous… J’avais aussi une société, «Ombre et Lumière», ce qui était le plus simple pour se faire payer.
Avec André Diot :
« Des fois, une ampoule, ça suffit ! » disait André Diot.
À Bercy, où nous avons travaillé ensemble avec André pour un concert de Johnny, il y avait des milliers de projecteurs partout, et à un moment précis, une ampoule descendait et la scène de Bercy n’était plus éclairée que par une seule ampoule : c’était sublime !
Alain Poisson en quelques dates :
né en 1945
d’abord comédien, puis éclairagiste, Alain Poisson a commencé sa carrière avec Jérôme Savary. Depuis 1973, il travaille surtout comme éclairagiste avec de nombreux artistes, tant pour des concerts, de l’évènementiel, que pour le théâtre et l’opéra, en France et à l’étranger.
À l’opéra, il a éclairé La Périchole, La Vie parisienne, La Belle Hélène, Don Giovanni, Die Zauberflöte, Il Barbiere di Siviglia, Cenerentola, Les Comtes d’Hoffmann, Le Comte Ory, Carmen, Rigoletto, Le Nozze di Figaro, Tosca,… parmi d’autres.
Pour les concerts, il a mis en lumière La Tournée des grands espace d’Alain Bashung, le retour à la scène de Christophe, Stéphan Eicher et Catherine Lara.
Alain Poisson a éclairé aussi des spectacles de comiques (Guy Bedos et Muriel Robin) et des défilés de mode pour Thierry Mugler et Yves Saint-Laurent.
Au théâtre, il a éclairé presque tous les spectacles de Jérôme Savary depuis « Good bye Mister Freud » en 1973 et ceux de Jean-Pierre Vincent depuis « Macbeth » de Shakespeare avec la Comédie-Française en Avignon en 1985.
Alain Poisson a également collaboré avec Bernard Sobel, Jacques Weber, Benno Besson, Jean-Louis Trintignant, Christine Murillo, Jean-Claude Leguay, Grégoire Oestermann et Édouard Baer.
Dernièrement :
« En attendant Godot » de Beckett mis en scène par Jean-Pierre Vincent en 2015
« L’Envers du décor » de Florian Zeller mis en scène par Daniel Auteuil en 2016
« Iphigénie en Tauride » de Goethe mis en scène par Jean-Pierre Vincent en 2016